Grammaire pour cesser d'exister

Durand, Amélie

Édité par : Le Sabot Thématique : poesie Genre : Récit

Inspiré par "La Grammaire méthodique du français" (PUF), ce texte est composé de 19 chapitres évoquant des principes grammaticaux (l'accord dans le groupe nominal, l'absence de déterminant, formes actives et passives), suivant les réflexions d'une jeune femme désirant s'absenter de sa propre vie. L'écriture y est fortement poétique tout en suivant une trame narrative à la fois fixe et flottante : ses réflexions au cœur de la ville, l'étrange couple formé avec son compagnon/colocataire et toustes les anciens colocataires fréquenté·e·s (sa famille, ses ancien·ne·s camarades de classe ... ). À travers ce récit poétique, Amélie Durand raconte comment on peut vouloir disparaître. Sa grammaire intime réinvente un langage emmêlé de situations burlesques dans lesquelles elle échoue, à répétition. C'est l'occasion d'une réflexion sur la condition féminine qui consiste, dans bien des situations, à s'excuser, à laisser la place, à s'effacer le plus possible. Extrait : « L'ACCORD DANS LE GROUPE NOMINAL Bien souvent, il serait avantageux de n’être pas là. Le soir, par exemple, je rentre chez moi et j’attache mon manteau à une patère. Ce sont des moments comme ça. Ou alors, le soir, je rentre chez moi et j’entends quelqu’un dire : « Ça ne m’étonnerait pas mais alors pas du tout » ; et il faut que je réponde. Parfois, aussi, je mets mes vêtements à laver au Lavomatic. Parfois, je rentre chez moi, je me tourne tout doucement vers le mur et j’y plaque les deux mains. Après, je glisse imperceptiblement vers le sol et depuis la cuisine mon colocataire me dit : « Encore faudrait-il qu’ils sachent ce qu’ils veulent, ces gens là. » Il me demande aussi si j’ai mal aux genoux. Je n’ai pas mal aux genoux, ça va. Je n’ai jamais eu de problèmes d’articulations. Mon colocataire est coopératif, d’une certaine façon. Il ne comprend pas vraiment ce que je fais mais il ne cherche pas non plus à m’en empêcher. Parfois, on est tout nus chez nous, dans notre chambre, et il met sa main sur mon cou, par exemple. C’est même gentil de sa part. Notre lit est presque collé à une grande fenêtre qui donne sur un mur. Ce sont des moments comme ça. Une seule fois, il a eu l’air de comprendre que je suis, depuis des années, en pleine investigation. Il avait mis ses mains sur moi alors j’ai regardé à travers sa tête et je suis allée me plaquer contre la fenêtre. C’est là qu’il a dit : « Qu’est ce que tu fabriques, encore ? ». Ce qui m’a semblé le plus inquiétant, c’est qu’il ait dit « encore ». Finement, j’ai décidé de rester collée à la vitre jusqu’à ce qu’il éteigne la lumière et qu’il s’endorme. On n’a plus jamais reparlé de fenêtre. C’est comme ça, avec les hommes, me disait ma mère. Elle disait aussi autre chose mais j’ai oublié quoi. »

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