L’Ours Blanc no 25 – D.R. Un curriculum de 5C années

En 1980, Le Kunstmuseum de Lucerne organise une rétrospective consacrée à l’œuvre graphique et aux livres d’artistes de Dieter Roth. A cette occasion, le musée édite en peu d’exemplaires un petit fascicule dans lequel l’artiste, qui fête ses 50 ans, revient sur sa vie et son parcours. Dès le titre, en remplaçant cinquante par 5 C, Roth introduit une distorsion caractéristique de sa pratique, laquelle consiste à transgresser systématiquement les habitudes de concevoir et de mettre en œuvre un travail artistique. Le texte qu’il écrit ne cesse de feindre d’ignorer ou de réinventer l’ensemble des règles qui assurent la transmission du message verbal. Roth brutalise avec un évident plaisir et une vitalité remarquable les lois de la syntaxe, de la ponctuation, de la grammaire, de l’orthographe. Il se régale de mots-valises, de néologismes, d’approximations; il interrompt abruptement le développement d’une phrase ou bien le fait patiner dans un processus de répétition. L’ensemble de son texte est porté et emporté par une vitalité torrentielle, charriant, outre des fragments d’autobiographie jetés pêle-mêle, des segments de récits hallucinés, le tout entrecoupé de réflexions philosophiques sur le sens de la vie et de l’art, et de charges polémiques d’une rare violence. Chez Dieter Roth, le processus doit primer sur la forme aboutie, la vie (et donc : l’art) est du côté du faire, pas seulement du résultat. A ce titre, cet essai autobiographique dévoyé est exemplaire de sa démarche artistique.